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Santé: Journée mondiale des toilettes, vers la fin de la défécation à l’air libre en Inde.

Plus de 95 millions de toilettes ont été construites en Inde en cinq ans. Un progrès indéniable et un bel argument de propagande pour le gouvernement Modi.

13 milliards d’euros investis

L’opération Swachh Bharat procède à la construction de quelque 111 millions de W.-C., pour la plupart dans les régions rurales, pour un budget de plus de 1 000 milliards de roupies [13 milliards d’euros]. L’opération, d’une envergure sans égale dans le monde, devrait permettre à l’Inde de faire un bond en avant sur le plan de la santé, mais aussi sur celui de l’économie. Elle est financée à 60 % par l’État central et à 40 % par les États de la fédération, avec en complément un prêt de 1,5 milliard de dollars de la Banque mondiale.

Selon les chiffres officiels rendus publics le 4 juillet, plus de 95 millions de toilettes sont en service à ce jour pour une couverture de l’Inde rurale à 99,2 %. “Des progrès remarquables ont été accomplis”, déclarait en décembre dernier Parameswaran Iyer, le directeur de la campagne Swachh Bharat.

Narendra Modi lui-même n’a pas manqué de se prévaloir du succès du programme dans la campagne des législatives, qu’il a remportées. “Nous, Indiens, sommes fiers de la rapidité remarquable avec laquelle l’accès aux toilettes a progressé sur notre territoire depuis quatre ans”, a tweeté le Premier ministre le 19 novembre, journée mondiale des toilettes.

300 000 morts évités

Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’opération Swachh Bharat, lancée en octobre 2014, aura permis d’ici le mois d’octobre 2019 d’éviter 300 000 morts dues à la diarrhée et à la malnutrition protéino-énergétique. Avant son lancement, les mauvaises conditions d’assainissement étaient responsables, selon une estimation, de 199 millions de maladies diarrhéiques par an.

Ces avancées sanitaires génèrent aussi des économies : une population rurale en meilleure santé perdra moins de jours de travail pour cause de maladie, et dépensera moins d’argent pour acheter des médicaments. Une étude de l’Unicef estime que les foyers d’un village ayant mis fin à la défécation à l’air libre économisent jusqu’à 50 000 roupies par an.
Selon un rapport de la Banque mondiale en 2011, la pénurie de sanitaires représentait pour l’Inde un manque à gagner de quelque 6 % de son produit intérieur brut en 2006 et, selon une étude de 2016 réalisée par Lixil Group, WaterAid and Oxford Economics, de 5,2 % en 2017 encore.

Les latrines de la honte

Aucun programme de changement des comportements n’a l’ampleur de cette opération “Inde propre”. La défécation en plein air est une pratique très ancienne, qui perdure dans des familles indiennes patriarcales refusant obstinément d’avoir des latrines sous leur toit, en dépit des désagréments que subissent en particulier les femmes. Un refus qui s’explique par l’interdiction, depuis des siècles, d’installer des toilettes à proximité d’une salle de prière ou d’une cuisine, si bien qu’il a toujours été considéré comme étant plus hygiénique de faire ses besoins à l’extérieur malgré le risque de propagation de maladies. La tâche de nettoyer les latrines était d’ailleurs si honteuse qu’elle était réservée à la plus basse caste, celle des intouchables.

Ishwar Singh, le mari de Sharmila, reconnaît avoir mis deux mois avant de commencer à utiliser les toilettes de leur maison – il préférait de loin faire ses besoins “en compagnie de la nature”. Certains hommes, généralement les plus de 40 ans, préfèrent toujours l’extérieur, car c’est pour eux le seul comportement respectueux de leur culture, poursuit-il.

Bollywood s’en mêle

Pour contribuer à changer les comportements, l’opération Swachh Bharat s’est trouvé des ambassadeurs de choix avec des stars de Bollywood comme Amitabh Bachchan et Akshay Kumar. Ce dernier était ainsi à l’affiche en 2017 de Toilet : Ek Prem Katha [“Toilettes : une histoire d’amour”], dans le rôle d’un jeune marié que sa tendre épouse, incarnée par Bhumi Pednekar, menace de quitter s’il n’installe pas de toilettes dans le foyer conjugal. Un succès qui a enregistré trois milliards de roupies de recettes au box-office, et servi de formidable tremplin à la campagne “Inde propre”.
“Cette campagne est une avancée considérable pour la sécurité et pour la dignité des femmes. Et elle contribue aussi à créer des emplois pour elles”, poursuit Parameswaran Iyer. Dans l’État du Jharkhand, nombre d’Indiennes ont appris la maçonnerie pour construire elles-mêmes des cabinets d’aisance. “Elles sont 30 000 à 40 000 à avoir trouvé du travail comme maçonnes”, précise le directeur de l’opération.

Les pouvoirs publics surévaluent les résultats

Citant un rapport de l’auditeur fédéral pour l’ouest du Gujarat, État qui s’est également déclaré au statut FDAL, Sumedh M. K., docteur en médecine et spécialiste en santé publique, écrivait en octobre pour l’Observer Research Foundation que dans huit districts examinés dans cet État, près de 30 % des foyers “n’avaient encore aucun accès à des toilettes”.

“Les pouvoirs publics adorent claironner leur statut FDAL, mais la réalité est tout autre. Et cette réalité [la pratique de la défécation à l’air libre] est visible partout en Inde – quand on voyage en train dans la région de Mumbai, quand on traverse en voiture les villages côtiers du Gujarat, dans l’intérieur du Maharashtra et dans bien d’autres endroits”, poursuit le médecin.

À Marora, village pauvre du nord de l’État de Haryana, à environ 80 km de New Delhi, la Sulabh International Social Service Organisation, association à but non lucratif, a fait construire des toilettes pour plus de 100 familles. La plupart appartiennent à la minorité musulmane, qui représente 15 % de la population indienne – 1,25 milliard d’habitants, majoritairement hindouistes.

Bénéficiaire de l’opération, Mehboobi est veuve, illettrée et vit avec son fils, sa belle-fille et leurs deux filles. Les quelque 5 000 roupies par mois que gagne son fils de 24 ans par des contrats temporaires sont le seul revenu du foyer, mais la famille possède depuis deux ans des latrines à deux fosses construites gratuitement par la Sulabh. Mehboobi s’en réjouit : 

Avant, nous allions nous soulager dans les champs, ou à proximité de la route. Les toilettes nous facilitent énormément la vie.”

Sa belle-fille Akhlima, 23 ans, renchérit : “Dans la maison de ma famille, nous avions des toilettes depuis plus de quinze ans. Quand je me suis mariée il y a quatre ans, ce fut un choc : il n’y avait pas de toilettes, j’étais terriblement gênée. J’avais peur d’être surprise dans une position embarrassante”, se souvient cette maman de deux fillettes de 3 et 2 ans. “C’est un soulagement pour moi de savoir qu’elles n’auront pas à subir ça.”

L’alimentation en eau courante restant erratique dans le village, la famille de Mehboobi, comme toutes les autres maisons, a fait creuser un réservoir souterrain de 10 000 litres qu’elle fait remplir pour 800 roupies par des vendeurs privés : ils ont ainsi plus de deux mois de réserve, pour la boisson, l’évacuation des latrines et toutes les tâches ménagères.

Un engrais sec, inodore et non pathogène

C’est en 1968 que le docteur Bindeshwar Pathak, le fondateur de Sulabh, inventa les latrines à double fosse, à une époque où presque aucun village de l’Inde rurale n’avait de toilettes. Ce concept écologique permet une gestion sûre, et in situ, des excréments humains : quand l’une des fosses est pleine, les excréments entrants sont déviés dans la deuxième fosse, qui repose pendant environ deux ans avant de se transformer en un engrais sec, inodore et non pathogène, que l’homme peut alors manipuler sans danger pour l’agriculture.
Selon Pathak, qui fonda Sulabh en 1970 avant de construire ses premières latrines en 1973, dans l’État du Bihar : 

Ce fertilisant contient de l’azote, du phosphore et du potassium, et a même des capacités de rétention d’eau.”

Bindeshwar Pathak a construit au total 1,5 million de ces toilettes à chasse d’eau manuelle, et 8 500 bains publics avec toilettes. Tous les jours, environ 20 millions d’Indiens utilisent ces installations.
Pour cet homme qui œuvre depuis cinquante ans pour l’accès aux toilettes dans son pays, l’opération “Inde propre” du gouvernement Modi a donné un vrai élan à cette cause. “Après Gandhi, Modi est la deuxième personne à en avoir fait un cheval de bataille et un mouvement populaire. Aujourd’hui, tout le monde parle d’hygiène, tout le monde est sensibilisé à la question, se félicite le fondateur de Sulabh. Bravo à notre Premier ministre pour cet engagement.”

Source : courrier international et Nikkei Asian Review

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