Economie:Le Tchad devrait-il s’inspirer du modèle économique bolivien pour faire face à la crise qui fragilise le pays ?
En affrontant les urnes en octobre prochain pour briguer un quatrième mandat de
président, Evo Morales présentera un bilan économique solide, marqué par la
nationalisation des ressources et la redistribution des recettes de l’État.
Mais c’est sur le front de la contestation interne que le candidat aura
davantage à se battre. Un article de la version espagnole de la télévision
allemande Deutsche Welle.
Certains parlent de “miracle bolivien” ; d’autres, de “modèle socio-économique communautaire productif” ; d’autres encore, tout simplement, de “projet gouvernemental bolivien”. Quel que soit son nom, le programme économique qu’Evo Morales a mis en place dès son arrivée au pouvoir en 2006 est, selon tous les indicateurs, le plus réussi et le plus stable de la région.
Ces treize dernières années, le PIB a bondi de 9 milliards, à plus de 40 milliards de dollars, le salaire réel a augmenté, le PIB par habitant a triplé, les réserves de change sont à la hausse, l’inflation n’est plus un problème, et l’extrême pauvreté a chuté, passant de 38 % à 15 %, soit une baisse de 23 points. À titre de comparaison, sur la même période, l’extrême pauvreté n’a diminué en Uruguay et au Pérou que de 2,3 % et de 12 %, respectivement.
Tout le monde s’accorde à dire que le changement s’est amorcé avec la nationalisation des hydrocarbures en 2006.
“Le fonctionnement de notre modèle économique est simple : nous utilisons ce que la nature nous a donné. Sous le précédent régime néolibéral, cette richesse était aux mains des multinationales. Nous avons nationalisé le secteur pour pouvoir distribuer l’excédent de deux manières : nous réinjectons une partie de cette richesse dans l’économie, et nous en redistribuons une autre partie”, affirme Luis Arce Catacora, le ministre des Finances bolivien. Avec Carlos Villegas, aujourd’hui disparu, ils furent les grands artisans du “miracle bolivien”.
Grâce à cette politique de redistribution, nous sommes le pays à plus forte croissance économique de toute l’Amérique latine.”
La tâche n’a pas été facile. Morales est arrivé au pouvoir en janvier 2006 à la suite d’un mouvement protestataire de grande ampleur. En octobre 2003, le pays avait connu ce qu’on appelle la “guerre du gaz”, un soulèvement populaire contre la décision du président Gonzalo Sánchez de Lozada d’exporter du gaz aux États-Unis en passant par le Chili.
De cette insurrection naissent les “revendications d’octobre”, structurées autour de deux volets : la nationalisation des hydrocarbures et la rédaction d’une nouvelle Constitution. C’est investi de cette mission que Morales arrive au pouvoir.
Mais le pays convulsait toujours. Le conflit opposait le gouvernement de La Paz et les élites de la riche “demi-lune”, [quatre départements situés] dans l’est du pays, à la frontière avec le Brésil.
Stabilité politique
Acculé, Morales convoque un référendum révocatoire en 2008 afin d’asseoir sa politique. Il obtient plus de 67 % des voix et entame les négociations avec ses adversaires. L’échiquier politique est alors réorganisé, notamment grâce à l’approbation d’une nouvelle Constitution pour refonder la Bolivie. Cette “révolution démocratico-culturelle”, selon les termes du gouvernement, constituait une première étape. Par la suite, à la présidentielle de 2009, le duo Morales-Linera obtient 64 % des voix. Les réformes peuvent commencer.
Tel est en effet le deuxième élément fondamental pour comprendre l’essor de la Bolivie : le nouvel ordre politique a permis au gouvernement de contrôler les ressources nationalisées, dans un contexte où les marchandises exportées par le pays s’échangeaient à prix d’or.
Comme le décrit le sociologue Fernando Mayorga :
C’est un système politique qui se fonde sur un régime présidentiel renforcé par la puissance hégémonique du MAS [Mouvement vers le socialisme, le parti présidentiel] : trois victoires électorales avec majorité absolue et contrôle des deux chambres du Parlement, à la majorité des deux tiers, pour les deux derniers mandats. Cela se traduit par une stabilité politique inédite.”
Prudence économique
Evo Morales a toujours eu recours à une puissante rhétorique hostile au capitalisme et à l’Amérique du Nord. Le nom de son parti contient le mot “socialisme”, et son vice-président est le créateur d’un modèle qu’il a baptisé le “socialisme ando-amazonien”. La Bolivie incarne-t-elle donc le socialisme du XXIe siècle ?
Sans nul doute, le modèle bolivien peut se targuer de sa croissance solide et de sa stabilité macroéconomique. “Contrairement à d’autres pays comme le Venezuela, la Bolivie a été plus prudente. C’est la prudence qui a rendu possible ce miracle”, affirme Juan Antonio Morales, qui a occupé le poste de directeur de la Banque centrale bolivienne entre 1995 et 2006.
Il faut également observer que la nationalisation des hydrocarbures ne s’est pas déroulée de manière classique. Car rigoureusement parlant, ce n’était pas une expropriation mais un accroissement de la part de l’État dans le capital et la prise de décision. En quelque sorte, il s’agit presque d’une simple réforme fiscale.
Mais les symboles ont toujours eu une grande importance dans la politique bolivienne. Selon Fernando Mayorga, Morales est radical dans ses discours, mais plus mesuré dans ses décisions.
Le gouvernement s’est constitué des réserves pour se préparer à une baisse des prix, ce qui s’est produit à partir de 2014. Un exemple de la prudence qu’évoque Juan Antonio Morales.
Evo Morales est le président qui a gouverné le plus longtemps la Bolivie. Le 20 octobre, il tentera d’être réélu pour la quatrième fois, mais sa candidature est entachée de plusieurs polémiques.
Début 2016, le gouvernement a connu un violent revers après que 51 % des électeurs ont refusé par référendum une modification de la Constitution visant à éliminer le plafond du nombre de mandats consécutifs.
Mais par la suite, le Tribunal suprême électoral, se prévalant d’une décision du Tribunal constitutionnel, reconnaît à Morales le droit d’être réélu indéfiniment, en vertu de l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Il pourra donc être candidat, bien que certains remettent en question les règles du processus électoral et la légitimité des élus.
Morales est en tête des sondages, suivi de Carlos Mesa, qui avait été vice-président de Gonzalo Sánchez de Lozada puis président jusqu’à mi-2005.
Matières premières
Malgré son dynamisme, l’économie bolivienne reste vulnérable aux fluctuations internationales. Le pays exporte vers l’Argentine et le Brésil.
Selon les critiques, l’économie bolivienne est trop dépendante des exportations de matières premières, ce que dément le gouvernement :
Nous sommes passés de l’exportation de gaz brut à la production nationale d’urée [utilisée comme engrais], souligne Luis Arce Catacora. Nos exploitations d’acier progressent, et notre production d’énergie électrique se diversifie. Sans oublier le lithium, un domaine dans lequel nous avons commencé à nous industrialiser.”
Ce qui est sûr, c’est que depuis la baisse des prix des produits exportés par la Bolivie, le déficit budgétaire a augmenté et stagne depuis 2015 à 7 % du PIB. L’opposition s’en inquiète, mais le gouvernement se veut rassurant, rappelant que ces ressources sont utilisées à des fins productives.
L’exécutif préfère mettre l’accent sur le renforcement du marché intérieur grâce aux dépenses publiques et aux mesures de redistribution, comme le quatorzième mois ou les allocations sociales.
Bolivianisation de l’économie
Il faut également prendre garde au taux de change. La stratégie du gouvernement à cet égard vise à conserver un boliviano stable, mais l’opposition l’estime surévalué. En conséquence, la production nationale perd en compétitivité face aux nombreuses importations nécessaires afin de satisfaire la demande des salariés qui, année après année, gagnent en pouvoir d’achat.
La force de la monnaie bolivienne a offert au MAS une autre grande victoire : la bolivianisation de l’économie. Les comptes épargne ne sont plus libellés en dollars, mais en bolivianos. À la fin des années 1990, 3 % de l’épargne étaient en bolivianos ; aujourd’hui, le chiffre s’élève à 94 %.
Malgré la bonne santé de l’économie, l’avenir ne s’annonce pas tout rose. Le pays pourrait souffrir de ses luttes politiques internes et subir le contrecoup des évolutions de la situation internationale. Il est possible que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ainsi que l’instabilité de l’Argentine et du Brésil se répercutent sur la Bolivie. Son économie, malgré sa diversification naissante, pourrait ne pas être capable d’y faire face.