Tribune : L’école publique, le Tchad est-il un pays ? Par Bello Bakary
Je n’ai pas l’habitude de m’inspirer des réseaux sociaux (RS), ( Tiktok, Facebook, etc.). Je m’en méfie, mais ils m’ont inspiré cette chronique. Pas les RS en tant que RS mais l’intervention d’un compatriote. Il s’appelle Abgué Jonas comme indiqué sur son compte Tiktok. Ça doit être son nom. Admettons qu’il s’appelle ainsi. Il serait un parent d’élève. Je ne le connais pas. Il est très fâché. Son message est pertinent. Et la sainte colère avec laquelle il a livré son argumentaire fait du bien. Ça venait de ses tripes.
La raison de sa colère : la rentrée scolaire est officielle depuis quelques semaines, mais l’école publique tchadienne est fermée … « et tout le monde s’en fout », dit-il.
C’est un crime, « on a un grand problème dans ce pays. Et tout le monde se tait », s’indigne M. Abgué. Je croyais, au début de son message qu’ il allait nous parler des futilités de la vie, des difficultés d’être Tchadien, de la crue du Chari, du prix des criquets grillés sur le marché, etc.
Non. M. Abgué parle à notre « conscience collective » de notre « inconscience collective ». De notre silence de voir les enfants de la République forcés de rester à la maison. Pas obligés d’aller à l’école de la République. Il plaide la cause des enseignants. La cause de l’école publique. Il est prêt à en payer le prix. Il soutient que personne, dans ce pays, ne reconnaît l’importance de l’enseignant, de l’enseignement. Il a rappelé une anecdote, le constat qu’une femme étrangère d’origine ouest-africaine a faite, une parole foudroyante sur notre pays. Elle a affirmé que « le Tchad n’est pas un pays ». Il lui donne raison. Oui tout le monde s’en « fout » de l’école publique.
Les médias s’en « foutent », ils en parlent du bout des lèvres.
Le gouvernement s’en « fout », il a d’autres chats à fouetter.
Le ministère de l’Éducation s’en « fout », il n’a pas de solution.
La primature s’en « fout », elle fait l’autruche.
La Présidence s’en « fout », elle est dans sa tour d’ivoire.
M. Abgué suggère une solution pour résoudre le problème : couper dans les salaires des députés, des ministres qui roulent dans de grosses onéreuses voitures V8. Ils sont nourris, blanchis par la République sans rien faire pour les enfants de cette République. « Vous êtes ce que vous êtes grâce aux enseignants. Donnez-leur à manger. Il faut que l’enseignant mange d’abord. Faites quelque chose. C’est un crime », dit-il.
J’ai l’habitude de dire que le Tchad est « un pays sans chapeau » comme le titre du livre de l’écrivain canadien d’origine haïtienne qui racontait les malheurs qui s’abattaient sur son île, Haïti. Il s’interrogeait, « ces malheurs sont-ils la volonté de Dieu? Comment être croyant et accepter une telle concentration de tragédie? »
Abandonner l’école publique n’est-il pas une tragédie? Une malédiction divine? C’est les deux à la fois.
Vous avez raison, M. Abgué. C’est un crime. Notre crime à tous. Le Tchad est un pays sans chapeau. Les élites l’ont abandonné. Les Tchadiens sont complices par leur silence. Au moins vous, vous, ne vous êtes pas tu. Dieu vous rendra grâce.
Bello Bakary Mana

