Camions de la mort : N’Djaména livrée aux gros porteurs malgré les interdictions
Dans une capitale en pleine mutation comme N’Djaména, où la croissance urbaine s’étale sans planification rigoureuse, les défis quotidiens deviennent des enjeux de survie. Parmi ces défis, le problème de la fluidité de la circulation routière cause d’énormes problèmes, surtout aux heures de pointe.
Entre des routes en état de dégradation avancée et des voies étroites, le quotidien est un calvaire pour les usagers, surtout avec des gros porteurs qui ne respectent aucune réglementation et roulent à vive allure.
L’interdiction de circulation des gros porteurs entre 6h du matin et 23h, pourtant encadrée par plusieurs arrêtés municipaux depuis plusieurs années, illustre cette tension chronique entre réglementations théoriques et réalité du terrain.
À l’heure de pointe, il n’est pas rare de voir un camion-citerne, un semi-remorque ou une benne embouteiller un axe vital ou forcer un virage impossible dans un quartier résidentiel. Et ce, en pleine journée. Le non-respect flagrant des horaires de circulation fixés par les autorités (23h à 6h du matin) est devenu la norme, souvent au vu et au su de la police.

Pourtant, ce n’est pas le manque de réglementation qui fait défaut pour pénaliser ces fauteurs. Entre arrêtés, décisions et communiqués, les premiers magistrats de la capitale n’ont fait que nous confirmer le dicton selon lequel les décisions des autorités ne durent qu’une semaine. En effet, pas moins de 7 notes ont été rendues publiques entre 2021 et 2025, mais rien n’a changé depuis lors.
De l’arrêté municipal N°098 du 12 juin 2021 réglementant les heures de circulation des gros porteurs au communiqué du 2 juin 2025, plusieurs rappels à l’ordre ont été faits entre 2022 et 2024. Ajouté à cela un communiqué émanant du Directeur Général de la Police Nationale, les choses restent inchangées. Les chauffeurs et propriétaires des gros porteurs sont devenus les maîtres de la ville.
Le pire dans cette histoire est que la police nationale observe sans lever le petit doigt, comme si elle attendait un communiqué pour agir pendant quelques jours. La conséquence ? Plusieurs drames sont à mettre sur le compte de ces gros porteurs, parfois avec des carrosseries modifiées et des systèmes de freinage défectueux.
Entre 2021 et 2025, plusieurs accidents mortels impliquant des gros porteurs ont été recensés dans la capitale. Rien qu’au mois de juin 2025, pas moins de 6 cas de décès ont été signalés à N’Djamena, tous écrasés par un gros porteur ou une benne.
Toutes les 6 personnes étaient à fleur d’âge, comme si les chauffeurs attendaient le communiqué municipal pour commencer un travail d’écrasement contre la population. Roi Djimet, un jeune gendarme, Orbira Toutengal, une jeune mère, ainsi qu’une autre mère et son fils sont parmi les victimes du mois de juin 2025.

En 2024, 4 blessés graves à Ngueli après la perte de contrôle d’un camion à frein défectueux. En 2023, un homme a été écrasé par un gros porteur à l’entrée du pont à double voie. Un an plus tôt, en 2022, un motocycliste a subi le même sort. Tout cela sans compter les victimes mortes ou gravement blessées par des camions dans l’anonymat.
Ces « anti-Jeunes », puisque c’est le surnom que leur attribue la population depuis des années, sont devenus le danger quotidien pour les habitants de la ville. Ce n’est pas un hasard si un nombre important de ces engins circulent avec des fiches techniques périmées, sans contrôle mécanique digne de ce nom. Le pire est que les chauffeurs sont souvent des apprentis-chauffeurs ou des mécaniciens sans permis de conduire.
Face à cela, la responsabilité est partagée. Si les chauffards bravent délibérément les arrêtés municipaux, c’est parce que le contrôle est absent ou complaisant. La police nationale et municipale, souvent absente, ferme les yeux sur les contrevenants. La police censée appuyer les efforts de régulation et sanctionner les contrevenants est pointée du doigt par beaucoup qui dénoncent un système d’extorsion plutôt qu’un véritable encadrement de la sécurité routière.
Il suffit de faire un tour dans la ville pour voir le décor du chaos routier : des croisements sans panneaux de signalisation, des zones résidentielles sans signalisation claire. Des camions transportant du sable, du gravier ou des marchandises mais sans bâche laissent derrière eux d’énormes déchets ou sablent les yeux des motocyclistes. À cela s’ajoute l’absence de parkings pour les camions, les forçant à stationner ou à manœuvrer en pleine chaussée, aggravant ainsi la situation.
Les décisions existent, les arrêtés sont clairs et les horaires sont bien définis. Mais sur le terrain, tout cela reste une lettre morte. Les autorités doivent comprendre qu’il ne suffit pas de publier des textes pour instaurer l’ordre ; le plus difficile pour un texte est qu’il soit appliqué. Marie Thérèse a pu appliquer sa décision d’interdire les sachets plastiques et malgré les réticences de la population, celle-ci a fini par adapter la réglementation ; alors pourquoi celle concernant les camions est-elle difficile ?

Tout est une question de volonté politique sur le terrain. À l’heure où la ville aspire à devenir une capitale moderne, elle ne peut continuer à tolérer que ses rues soient livrées à des engins qui, en toute impunité, tuent, bloquent et détruisent.
La modernité ne se mesure pas seulement en constructions ou en routes bitumées, mais dans la capacité à organiser, protéger et faire respecter les règles tant pour les piétons que pour les camions. Car avec cet allure, N’Djamena ma Tindjama ambakir.