Tribune : « Pour une réforme juste et durable du traitement des pensions », Abdel-aziz Mahamat Oumar
Ce lundi matin, le Président de la République, Chef de l’État, Maréchal Mahamat Idriss Déby Itno, a effectué pour la deuxième fois une visite inopinée à la Caisse des Retraités Civils du Tchad (CRCT). Ce geste, rare et hautement symbolique, témoigne d’une volonté claire de replacer la question des pensions au cœur des priorités nationales. Mais au-delà du symbole, cette visite doit ouvrir la voie à une réforme structurelle et juridique du traitement des retraites dans notre pays.
Car il ne s’agit pas simplement de « verser des pensions », mais de rétablir la confiance entre l’État et ses serviteurs, de garantir la dignité de ceux qui ont consacré leur vie à la nation. Aujourd’hui, trop de retraités tchadiens font face à des retards, des incohérences administratives et un manque de clarté sur leurs droits. Cette situation n’est pas seulement un problème de gestion : c’est une question de justice sociale et de respect du droit.
Le droit tchadien de la protection sociale , dans son esprit, repose sur le principe de solidarité nationale et de protection universelle. La pension n’est pas une faveur accordée par l’État : c’est un droit acquis. Or, lorsqu’un retraité doit attendre des mois voire des années pour percevoir ce qui lui revient légitimement, c’est tout le sens du contrat social qui vacille.
Le Préambule de la Constitution de la République du Tchad consacre le droit à la protection sociale, et précise que « l’État œuvre à la protection sociale des citoyens contre les risques de la vie ».
De plus, le décret 1937/PT/PM/MFBCP/2024 portant modification du décret 157/FET-F du 31 mars 1969 portant codification des pensions civils et militaires stipule que « la pension de retraite a pour objet de garantir au fonctionnaire et leurs ayants droit contre les risques susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain ». Ces principes imposent à la CRCT un devoir de régularité, de transparence et de respect strict des droits acquis.
Le dysfonctionnement actuel de notre système de retraite ne réside pas uniquement dans le manque de moyens financiers, mais dans l’absence d’une architecture administrative et numérique modernisée.
Il est urgent de :
• renforcer la gouvernance interne de la CRCT,
• instaurer un guichet unique numérique pour la gestion des carrières et des pensions,
• former et responsabiliser les agents publics sur leurs obligations légales,
• et surtout, instaurer un contrôle rigoureux fondé sur la redevabilité et la transparence.
Ces réformes ne demandent pas forcément de grands moyens, mais une volonté politique ferme et un ancrage juridique solide. La modernisation de la gestion des pensions doit s’inscrire dans une vision nationale d’une sécurité sociale équitable, transparente et durable.
Une inspiration régionale : l’exemple algérien
Le modèle algérien de sécurité sociale, administré par la Caisse Nationale des Retraites (CNR) et la Caisse Nationale des Assurances Sociales (CNAS), offre un exemple inspirant.
En Algérie, le retraité n’a pas besoin de se déplacer pour percevoir sa pension : tout est automatisé et centralisé par voie bancaire ou postale.
De plus, les retraités bénéficient de la couverture maladie au même titre que les actifs, grâce à une coordination intégrée entre les différentes caisses.
Ce système repose sur des fondements juridiques proches des nôtres, mais il a su les opérationnaliser par la numérisation, la simplification des procédures et une gouvernance axée sur la continuité des droits.
Rien n’interdit au Tchad d’emprunter cette voie.
Nous disposons des ressources humaines, de l’expertise et du cadre législatif nécessaire il faut simplement une volonté d’application effective.
Pour une retraite digne et républicaine
La double descente du Chef de l’État à la CRCT doit être comprise comme un signal fort : celui d’une ère nouvelle, où le droit et la dignité humaine reprennent leurs places légitimes dans l’action publique.
Les retraités ne demandent pas un privilège, ils demandent simplement que le droit soit respecté.
En tant qu’expert en droit de la sécurité sociale, je suis convaincu que le Tchad peut construire un système de retraite exemplaire, en s’inspirant des bonnes pratiques régionales tout en consolidant ses propres acquis juridiques.
Redonner confiance aux retraités, c’est redonner sens à la République.
Et c’est, sans aucun doute, l’un des plus beaux héritages que notre génération puisse laisser à la suivante.
Par Abdel-aziz Mahamat Oumar, Expert en droit de la sécurité sociale