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Afrique de l’Ouest. Le Bénin, sera t-il la prochaine cible des terroristes ?

Le New York Times est retourné dans le parc de la Pendjari, où ont été enlevés deux touristes français et leur guide béninois en mai. Des combattants djihadistes cherchent à s’y implanter, et pourraient faire basculer le Bénin dans la spirale terroriste qui ensanglante la région.

En tant que guide proposant des safaris dans les vastes étendues sauvages d’Afrique de l’Ouest, Fiacre Gbédji n’était souvent pas si différent des touristes dont il avait la charge : chaque apparition de lion lui arrachait un cri enthousiaste, et il s’émerveillait toujours d’apercevoir un guib harnaché entre les arbres.

Toutefois, lorsque les deux touristes français qu’il guidait dans le parc national de la Pendjari ont été enlevés par des terroristes [le 1er mai], la réaction internationale envers le guide et ses clients n’a pas été la même.
Les touristes ont été secourus dix jours après leur enlèvement, au cours d’une opération militaire qui a coûté la vie à deux soldats français – en l’honneur desquels une cérémonie d’hommage national a été organisée au cœur de Paris.

Alors que les médias internationaux se concentraient sur cet enlèvement, le sort de leur guide n’était pas du tout évoqué. Et s’il était mentionné, Fiacre Gbédji n’était que “leur guide”. D’après les sources officielles, il a été abattu par les ravisseurs, et sa dépouille laissée en pâture aux animaux.
Au Bénin, son nom est toutefois devenu synonyme de mauvais augure. Ce petit pays d’Afrique de l’Ouest coincé entre le Togo et le Nigeria commençait à devenir une destination safari, et le Pendjari, géré par une nouvelle direction, faisait figure de trésor national.
Cet enlèvement a renversé la tendance et mis en lumière les risques que représentent pour le Bénin les activités terroristes qui dévastent le Burkina Faso et d’autres pays voisins.

Délogés par des offensives militaires de leurs anciens bastions au Mali et au Niger, les combattants de groupes terroristes affiliés à l’État islamique et à Al-Qaida se replient sur le Bénin, expliquent des spécialistes de la sécurité. Ils y auraient trouvé de nouvelles recrues et se seraient réfugiés dans ses épaisses forêts.

À Natitingou, non loin de la Pendjari, les habitants, qui ont perdu un voisin et père de six enfants – bientôt sept –, ne se sentent plus en sécurité désormais. Les hôtels sont remplis de guides désœuvrés dont les clients ont annulé leur voyage. Les soldats béninois patrouillent désormais dans le parc de la Pendjari, entre les crocodiles et les hippopotames, scrutant la frontière avec le Burkina Faso.

Ici, la mort de Gbédji apparaît comme la preuve que, s’il ne prend pas immédiatement des mesures, le Bénin, malgré sa démocratie solide et largement pacifique, n’est pas à l’abri d’une contagion terroriste.

Le guide

La journée avait commencé comme d’habitude pour Fiacre Gbédji, 33 ans. À l’aube, il avait refermé la moustiquaire bleue au-dessus de sa compagne, Véronique Fara, enceinte de leur deuxième enfant, et il était sorti pour dire au revoir à sa mère. Il avait transformé son tata somba de célibataire – une habitation traditionnelle ronde, aux murs de terre surmontés d’un toit pointu en chaume – en villa familiale avec toilettes modernes et télévisions à écran plat. La nouvelle offre touristique du parc de la Pendjari avait grandement amélioré le sort de sa famille.

Élu en 2016, le président béninois, Patrice Talon, a fait du tourisme une priorité. Le parc de la Pendjari, où vivent 1 700 éléphants, fait partie d’un complexe de trois parcs s’étendant entre le Burkina Faso, le Niger et le Bénin. Comparant ces étendues sauvages à des réserves de pétrole inexploitées, le président béninois a promis de consacrer au moins 6 millions de dollars [5,5 millions d’euros] à ce parc de 4 600 km². En 2017, il a autorisé l’organisation sud-africaine African Parks à reprendre la gestion du parc.

L’afflux de touristes a permis à Gbédji de subvenir aux besoins de ses six enfants – et de leurs six mères. Sa mère dit en riant :

« C’était un don de Dieu qu’il plaise tant aux femmes.”

Nous la rencontrons dans la villa familiale, trois semaines après la mort de son fils. Vêtue d’un chapeau noir de deuil, elle tient dans ses bras sa petite-fille de deux ans, Bera Eslie. Depuis la mort de son fils, elle se débat avec des pensées suicidaires, reconnaît-elle. Une seule question l’arrête : qui s’occupera de ses petits-enfants ?

“Il m’a juste dit : ‘Maman, je reviens bientôt’”, raconte-t-elle. Puis il s’était mis en route pour retrouver ses clients de la journée, Laurent Lassimouillas, 46 ans, et Patrick Pique, 51 ans, deux professeurs de musique. Il n’avait pas demandé à sa mère de lui préparer son pique-nique préféré, des épinards et de la pâte de maïs. Il n’avait pas emporté de nourriture, ajoute-t-elle, son visage soudain rembruni. Mon fils est mort l’estomac vide. Il est mort avec la faim au ventre.”

La zone rouge

Les guides du parc de la Pendjari doivent tous suivre une formation pour être certifiés, mais pour Gbédji, c’était aussi une histoire de passion : il connaissait le moindre trou d’eau ainsi que chaque repaire des lions.
Il savait aussi quel endroit éviter : le nord où se trouve la rivière de la Pendjari, qui marque la frontière avec le Burkina Faso. Sur les cartes des autorités françaises et américaines, cette rivière marquait le début d’une zone rouge au-delà de laquelle opéraient des militants islamistes et où le tourisme était “formellement découragé”, selon le ministère français des Affaires étrangères.

C’est là qu’ont commencé à se regrouper les combattants chassés par l’armée française de leurs territoires au Mali et au Niger. Ils y trouvent aussi de nouvelles recrues en exploitant les tensions entre éleveurs et paysans, la pénurie de ressources – aggravée par le réchauffement climatique – et le mécontentement des populations face aux exactions des forces gouvernementales.

L’an dernier, le Burkina Faso a recensé 137 attaques de groupes islamistes, contre seulement 12 en 2016, rapporte le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (Cesa) du gouvernement américain.
“Le problème pour les gouvernements est que dans bien des régions, les djihadistes ont réussi à répondre aux besoins à court terme des populations en matière de paix et de stabilité”, explique Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest de l’organisation non gouvernementale américaine Human Rights Watch. Bien souvent, les militants islamistes ramènent de l’ordre avant d’accroître les violences à mesure que leur idéologie s’enracine, explique-t-elle.

Le Bénin, où de nombreux services de base font encore défaut, est confronté à des difficultés similaires. Et l’instabilité s’accroît. Modèle de démocratie depuis 1991 et sa transition d’une économie socialiste à un régime démocratique, le Bénin a vu son président, Patrice Talon, adopter un style de plus en plus autocratique.

Le Bénin doit se pencher sur les problèmes qui ont permis aux groupes djihadistes de trouver un écho favorable dans d’autres pays, analyse Dufka. Alors que les groupes djihadistes progressent en Afrique de l’Ouest, le Bénin pourrait être l’ultime domino.”
Les djihadistes ont mis le cap au sud, en direction du complexe transfrontalier des trois parcs naturels, dont celui de la Pendjari, où ils trouvent de quoi subsister en restant à l’abri des moyens de surveillance aérienne, explique Lori-Anne Théroux-Bénoni, directrice pour l’Afrique de l’Ouest du centre de réflexion [sud-africain] de l’Institut d’études de sécurité (ISS).

Au Burkina Faso et au Niger, les extrémistes s’en sont pris à des gardes forestiers, qui évitent désormais cette partie du parc. Côté béninois, la gestion d’African Parks a redynamisé le parc de la Pendjari. Mais ce faisant, elle a également ravivé des tensions, par exemple en interdisant la chasse de viande de brousse, une tradition locale, alors que l’organisation accorde des permis payants aux chasseurs de trophées. Les terroristes “savent où trouver les points faibles spécifiques des régions et comment les exploiter”, résume Théroux-Bénoni.

Fiacre Gbédji veillait à rester à l’écart de la rivière de la Pendjari, racontent d’autres guides. Il se sentait en sécurité côté béninois. Depuis son enlèvement, la zone rouge sur les cartes françaises et américaines a pris de l’ampleur : elle englobe désormais tout le Pendjari.
“Ce sont nous les victimes”, déplore Noël Nabougou, 30 ans. Guide de safari, il patiente à l’hôtel Totora de Natitingou, où la majorité des touristes ont annulé leurs réservations. Il estime, tout comme le gouvernement béninois, qu’il ne faut pas inclure tout le parc de la Pendjari dans la zone rouge.

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