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Tchad : « Urbanisation rapide et décentralisation inachevée, un double défi pour N’Djamena »

Maître Ati Abdoulaye Ati Mahamat, doctorant en droit public et juriste constitutionnaliste, a publié en 2019 un ouvrage consacré aux réformes institutionnelles, à la gouvernance locale et à la décentralisation au Tchad. À l’occasion du Séminaire national sur la décentralisation, il partage la quintessence de sa contribution stratégique concernant la ville de N’Djamena.

Ci-dessous, un résumé succinct de ses travaux de recherche.

Une capitale en pleine mutation démographique

Capitale politique, économique et administrative du Tchad, la ville de N’Djamena connaît depuis plusieurs décennies une croissance démographique fulgurante. Longtemps stable jusqu’en 1954, sa population a triplé entre 1962 et 1977, puis doublé entre 2014 et 2017. Aujourd’hui, la capitale abrite environ deux millions d’habitants, soit plus de 16 % de la population nationale.

Cette urbanisation rapide, largement alimentée par un exode rural massif, a fait passer le taux d’urbanisation de 12 % en 1975 à 26 % en 1987. Actuellement divisée en dix arrondissements et regroupant 69 quartiers, N’Djamena s’étale sur plus de 10 000 hectares. Le rythme moyen d’accroissement de la population est estimé entre 4 et 5 % par an.

Une ville étouffée par ses propres failles

Cependant, cette dynamique démographique s’accompagne de défis majeurs :

• Un développement urbain anarchique ;
• Une insuffisance chronique des services de base (eau potable, électricité, soins de santé, éducation) ;
• Des inondations récurrentes pendant la saison des pluies ;
• Un habitat précaire ;
• Un chômage endémique, notamment chez les jeunes ;
• Une violence latente et une instabilité politique persistante.

La commune peine à faire face à ces enjeux, malgré la mise en œuvre d’un processus de décentralisation censé rapprocher l’administration des citoyens et améliorer la gouvernance locale.

Une décentralisation à l’impact limité

Officiellement adoptée, la décentralisation tarde à produire des résultats concrets à N’Djamena. En cause : une mauvaise application des textes, une confusion persistante entre tutelle administrative et subordination hiérarchique, ainsi qu’un manque criant de ressources financières, humaines et matérielles au niveau des communes d’arrondissement.

La clé de répartition budgétaire reste inéquitable. Contrairement à la mairie centrale, les communes d’arrondissement dépendent largement des marchés locaux pour mobiliser leurs ressources. Leur absence ou leur mauvaise gestion compromet directement l’exécution des budgets.

Des pistes de réforme pour une véritable autonomie locale

Afin d’inverser la tendance, plusieurs recommandations sont formulées par les experts et les acteurs locaux :

• Relire la loi n°009/PR/2005 portant statut particulier de la ville de N’Djamena ;
• Supprimer deux niveaux de collectivités : les communautés rurales et les départements, pour ne conserver que les communes et les régions ;
• Renforcer le rôle du Sénat, en tant que chambre des collectivités territoriales ;
• Réorganiser administrativement et financièrement la mairie centrale et les arrondissements ;
• Adopter un code de déontologie pour les élus locaux, avec serment et déclaration de patrimoine ;
• Former et sensibiliser massivement les élus locaux sur leurs rôles et responsabilités ;
• Créer une fonction publique locale dotée de moyens adéquats et de cadres compétents ;
• Impliquer davantage les citoyens, à travers des budgets participatifs et des séances de redevabilité publique ;
• Auditer l’occupation des espaces verts et des réserves foncières ;
• Créer un centre national de formation en administration municipale.

Pour une autonomie responsable

La réussite de la décentralisation repose sur un équilibre délicat entre l’autonomie des élus locaux et l’encadrement bienveillant de l’État. Comme le rappelle un adage en droit administratif :« Pas de tutelle sans textes, mais pas de tutelle au-delà des textes. »

Il revient désormais aux autorités communales de cesser d’invoquer leur impuissance. Fortes de leur légitimité électorale, elles doivent assumer pleinement leurs responsabilités, faire preuve de leadership, et s’affranchir de la dépendance vis-à-vis du pouvoir central.

La réussite de cette entreprise collective dépend d’un partenariat sincère entre le gouvernement, les collectivités locales et les citoyens, pour faire de N’Djamena un véritable modèle de gouvernance urbaine et de démocratie locale.

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