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Editorial : Politiques, militaires, guerres, le titre de maréchal pour quelle fin

Nos confrères de jeune Afrique reviennent sur l’élévation au grade de général dans certains pays Arabes et Africains. Après plusieurs années d’exercice au sein des différentes armées, les présidents de ces pays cités dans cet article ou les hauts gradés, étaient honoré par l’élévation au titre de «maréchal». Quelles sont les motivations, quelle leçon retenir de ces maréchaux déchus de leur pouvoir pendant ces dernières décennies.

En Afrique et au Moyen-Orient, des personnages qui n’en sont pas toujours dignes se sont octroyé le titre de « maréchal ».

«Un éditorialiste d’hebdomadaire est obligé de trouver, chaque semaine, une signification à un événement qui n’a, peut-être, ni sens ni conséquence », a écrit fort justement l’économiste John Kenneth Galbraith. Je voudrais vous parler cette semaine non pas d’un événement mais d’un fait anecdotique et ridicule, qui contribue à donner des Africains (et des Arabes) une image peu reluisante.

Je veux parler de ce titre de « maréchal » que se sont octroyé, en Afrique et au Moyen-Orient, des personnages qui n’en sont pas dignes. La plupart d’entre eux ont déjà été relégués dans les poubelles de l’Histoire car aucune victoire militaire n’a justifié ce titre dont ils se sont affublés. Le dernier, un Libyen, suscite aujourd’hui encore, mais à tort, beaucoup d’espoirs.

Maréchaux autoproclamés

Souvenez-vous du « maréchal » Jean-Bedel Bokassa de Centrafrique (1974) et du « maréchal » Idi Amin Dada d’Ouganda (1975). Tous deux ont défrayé la chronique il y a près d’un demi-siècle. Bien qu’ils aient mal fini, il s’est trouvé un Mobutu Sese Seko au Zaïre, en 1982, pour suivre ce mauvais exemple, s’autoproclamer « maréchal » et finir lui aussi détrôné avant de mourir en exil.

Souvenez-vous du colonel Nasser : il s’est sagement cantonné à son grade, mais s’est laissé aller à donner ce titre au général Abdel Hakim Amer, le futur vaincu de la guerre des Six-Jours. L’armée égyptienne qu’il a sortie de ses casernes accapare le pouvoir depuis près de soixante-dix ans, s’occupe davantage de « business » que d’affaires militaires mais compte toujours à sa tête trois ou quatre maréchaux. L’actuel chef de l’État et de l’armée, Abdel Fattah al-Sissi, n’est-il pas lui-même maréchal depuis 2014 ?

Omar el-Béchir, le chef de l’État du Soudan renversé par ses généraux il y a neuf mois, ne s’est-il pas fait élever également à ce grade ? Et le tristement célèbre Saddam Hussein, dictateur de l’Irak, n’est-il pas devenu, lui aussi, après avoir perdu les guerres qu’il a provoquées, « maréchal », avant de finir pendu ?

Khalifa Haftar

Le dernier « maréchal » en date dont vous allez entendre beaucoup parler dans les prochaines semaines est libyen. Il s’appelle Khalifa Haftar, a 76 ans et se pique de faire de la politique. Il porte un uniforme vert olive avec des épaulettes ornées d’étoiles dorées.

Ceux qui, comme moi, suivent les affaires politiques depuis des décennies se souviennent d’un colonel Khalifa Haftar envoyé par Kadhafi à la tête d’une petite armée, en 1987, pour prendre N’Djamena, la capitale du Tchad. Il a été alors défait par le Tchadien Hassan Djamouss, et son armée a été taillée en pièces ; le colonel Haftar a été fait prisonnier avec trois cents de ses soldats.

Les Américains l’ont ensuite « retourné » contre Kadhafi, emmené au Zaïre, puis au Kenya et enfin chez eux, dans des locaux voisins de ceux de la CIA, en Virginie. Revenu au pays en 2011, il a de nouveau endossé son uniforme, s’est donné pour mission de « sauver la Libye » et a fait sien ce principe aberrant : « La politique suit le militaire [sic]. » Avec l’aide, cette fois, des Égyptiens, des Saoudiens, des Émiratis, des Français et des Russes. Objectif : prendre Tripoli et réunifier la Libye.

Si je vous ai parlé de ces maréchaux de pacotille ou d’opérette, c’est parce que ce « maréchal » Haftar suscite à ce jour des espoirs qui, à mon avis, seront inévitablement déçus. Grâce aux centaines de mercenaires russes dont il vient d’obtenir le renfort et qui encadrent désormais ce qui lui sert d’armée, ce cheval de retour va peut-être et enfin prendre Tripoli. Mais la Libye ne sera pas réunifiée pour autant, ne redeviendra pas un État digne de ce nom, ne cessera pas d’alimenter le jihadisme, qui est le problème numéro un du Sahel.

Elle demeurera une source de préoccupation pour la Tunisie et l’Algérie, ainsi que pour l’Europe. Les derniers vrais maréchaux ont été élevés à cette dignité pendant les guerres, à la suite de victoires indiscutables. Hitler a promu, dès le 19 juillet 1940, une quinzaine de ses généraux et, en juin 1942, le célèbre Erwin Rommel. Staline en a fait de même en 1943 lorsque ses armées ont commencé à remporter des victoires. Churchill l’a fait lui aussi et, après la Seconde Guerre mondiale, de Gaulle a suivi son exemple. Le Japon a eu trois maréchaux, et les États-Unis, quatre généraux cinq étoiles.

Mauvais mélange des genres

On peut donc accéder à la dignité de maréchal parce que l’on a excellé dans son métier d’officier général et lorsque le pouvoir politique, qui commande aux militaires, en décide. Dans tous les autres cas, cela relève de l’opérette et d’un mauvais mélange des genres. L’Histoire nous a donné quelques bons exemples d’illustres militaires devenus de grands hommes politiques, dont les plus célèbres sont Alexandre, Napoléon et de Gaulle.

On ne connaît pas d’exemple de mauvais militaires qui se sont mués en grands politiques. Ceux qui, comme Haftar, croient que le militaire prime sur le politique sont dans l’erreur. Ce sont des hommes bornés ou dangereux. Les conclusions à tirer de ce mélange des genres sont à mon avis au nombre de deux :

1/ Les dirigeants de l’ex-Tiers-Monde qui se sont proclamés « maréchaux » étaient des déséquilibrés ; les pays où cela s’est produit, la plupart du temps il y a des décennies, n’étaient pas les plus avancés, car ce type d’autopromotion est un signe indiscutable de sous-développement politique et culturel.

2/ Attendre en 2019 ou 2020 du « maréchal » autoproclamé Khalifa Haftar, vieux cheval de retour, piètre militaire et médiocre politique, qu’il sauve la Libye et en refasse un État policé est, de mon point de vue, une grave erreur.

La coalition hétéroclite qui a placé à sa tête Khalifa Haftar n’y gagnera que des déconvenues. Sauf erreur de ma part, c’est en 2020 que la baudruche Haftar commencera à se dégonfler…

Par Jeune Afrique, Par Béchir Ben Yahmed

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